Alors que bien souvent les cabinets travaillant sur les risques psychosociaux agissent chacun dans leur coin, protégeant jalousement leur savoir-faire, il s’est passé en octobre 2016 quelque chose d’assez inhabituel. Huit cabinets (Aptéis, Aristée, Cedaet, Eretra, Ergonomnia, Indigo Ergonomie, Odyssée, Social Conseil) ont pris le temps de rédiger une lettre commune au Président du groupe La Poste pour tirer le signal d’alarme sur la façon dont les réorganisations, menées au pas de course, engendrent du stress et donc des risques psychosociaux (voir lettre). De mon point de vue, il s’agit avant tout d’une bataille d’experts, travaillant soit pour les directions générales, soit pour les CHSCT ou les RH. Pour partager ma vision, je vais me permettre d’utiliser des termes que certains pourront juger caricaturaux. Mais mon objectif est avant tout de proposer une piste simple pour sortir du cadre de cette bataille contre-productive, à la victoire incertaine et trop lointaine…

bataille

D’un côté nous avons les experts « cerveau gauche », bien souvent issus des grandes écoles d’ingénieurs ou de management, qui travaillent au sein des cabinets mettant en œuvre les réorganisations. Leurs analyses se basent sur des cadences de production, des équivalents hommes, les possibilités de gain obtenus par du « lean » mis en place dans des contextes comparables. Il est amusant de remarquer au passage que ces cerveaux « gauches » proposent des stratégies plutôt à droite sur l’échiquier des choix politiques.

En face nous avons les experts « cerveau droit », en grande partie universitaires, des sociologues, psychologues ou experts en ressources humaines. Ils viennent pour panser les plaies engendrées par ces réorganisations supportées par les directions générales. Las, ces intervenants ont une crédibilité variable en fonction de leurs interlocuteurs car ils ne peuvent s’appuyer que sur leur analyse personnelle de la situation. Alors que le camp adverse, nourri aux « sciences dures », dispose de chiffres indiscutables qui font rêver les directions générales, ces experts, inspirés par les « sciences molles », ne peuvent présenter que des synthèses qualitatives. Reprenons d’ailleurs les termes de Nicolas SPIRE, sociologue du travail travaillant chez Aptéis : sa synthèse porte sur la rencontre de 30 à 40 salariés et 200 entretiens en 3 ou 4 ans (voir interview). Comme il est facile pour un directeur général, obnubilé par la concurrence et ses marges qui fondent comme neige au soleil, de supposer que Monsieur SPIRE n’a rencontré que les 30 salariés les plus fatigués qui ne devraient plus être là depuis longtemps, que les choses ont dû changer depuis 3 ans, et que de toute façon les sociologues ne comprennent décidément rien à la façon dont doit tourner une entreprise…

Bataille d’experts donc, entre ceux qui maîtrisent les chiffres et les organigrammes et ceux qui prennent le temps d’écouter et de restituer avec leurs mots et leurs grilles d’analyse.

Mais, heureusement, il existe une pièce maîtresse que les experts du second camp utilisent trop peu : les outils de mesure des risques psychosociaux. Pour être efficaces ils ne doivent pas être réservés aux universitaires ! Si c’est un outil, par exemple la grille de Karaseck, qui reste reservé à un usage par les seuls experts, les directions générales n’achèteront pas plus les résultats. Par contre, s’il s’agit d’un outil à large spectre, dont les questions et les résultats sont compréhensibles et accessibles par l’ensemble des collaborateurs, les dirigeants n’ont plus d’autre choix que de prendre en compte ces informations. Ils sont d’ailleurs friands de véritables « pétitions » pour prouver que tout va bien chez eux. Le succès des campagnes de « great place to work » en est la preuve. Sur le plan des risques psychosociaux, diagnosticrps.net offre des fonctionnalités encore plus intéressantes car chaque personne découvre en temps réel son profil personnel de risques. Un outil comme diagnosticRPS est à double usage puisqu’il peut permettre de vérifier simplement qu’il n’y a pas de risque ou au contraire affiner dans l’urgence un plan d’action afin de faire face à des risques avérés.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de remplacer purement et simplement les sociologues par un outil en ligne mais bien de leur permettre de démultiplier leur temps et de faire entendre leur message. Avec un outil comme diagnosticRSP, Nicolas SPIRE peut annoncer à ses interlocuteurs que sa synthèse prend en compte les 20.000 collaborateurs qui ont répondu en ligne la semaine dernière ET les 10 entretiens qualitatifs qu’il a pu mieux cibler pour compléter l’analyse. Sa nouvelle force vient du fait qu’il peut projeter un graphique portant sur des milliers de réponses brutes. Il utilise alors le même genre de munitions que le camp adverse et double ses chances de se faire entendre ! Si Monsieur Nicolas SPIRE ne veut pas se faire « uberriser » il faut qu’il prenne les devants et introduise la bonne dose de web2.0 dans ses démarches !

Vous aurez peut-être l’impression que l’auteur de ce billet a choisi son camp ? Ce n’est pas si simple… Certes il est sorti d’une école d’ingénieurs il y a quelques années, mais cela ne l’empêche pas d’être attentif à d’autres approches. Il reste en tout cas passionné par les usages intelligents des nouvelles technologies, ceux qui permettent aux experts du second camp (et à chaque salarié!) de faire entendre son point de vue, ceux qui assurent la réussite des projets de changement en limitant au maximum les dégâts sur les ressources humaines, au sens propre et noble du terme. N’oublions pas que, comme le rappelait Francis BLANCHE « il vaut mieux penser le changement que changer le pansement »