La SDL, Société des Lecteurs de journal Le Monde, organisait hier un débat avec le nouveau directeur de la rédaction, Alain FRACHON, animé par Jean Philippe LIARD, administrateur de la SDL.

Une introduction inattendue centrée sur les agressions de plus en plus nombreuses envers les journalistes, en particulier de la part des jeunes de banlieue. Une inquiétude manifeste de la part de Alain FRACHON, mais sans tentative d’explication. Un espoir exprimé que la salle soit moins revendicatrice ce mardi soir, les actionnaires du Monde (pour faire partie de la SDL il suffit d’être actionnaire du Monde, peu importe qu’on le lise ou non, contrairement à ce que laisse entendre le nom de l’association) étant aussi là pour défendre leur journal. Ce fut grosso modo le cas, sauf peut être l’intervention d’un professeur émérite, d’une dureté telle que cela fait frémir sur la qualité de la formation de ses anciens étudiants. Beaucoup d’interrogations aussi sur la difficulté à recruter de jeunes lecteurs, à défendre le papier « contre » le média Internet et à juger de l’utilité des suppléments thématiques.

Mais quand même, ce problème de banlieue, d’agressivité générale contre les médias et en particulier les journalistes, ça fait réfléchir. Je me suis permis de proposer rapidement 3 pistes de réflexion. Les réponses d’Alain FRACHON m’ayant laissé sur ma faim, je ne peux m’empêcher de les prolonger ici :

  • diffusion : les jeunes ne lisent plus ? les jeunes de banlieue encore moins ? Qu’est ce qui empêche Le Monde d’avoir une stratégie d’ouverture, de main tendue pour aller vers eux. Le Monde a pour principe de ne jamais offrir un exemplaire papier, certes, mais quid des versions pdf ou des abonnements au Monde en ligne dont le coût marginal est si faible qu’il ne peut guère être calculé. Si une heure passée dans chaque classe d’un lycée professionnel ou technique (pas Science Po ou la Sorbonne, ceux là ils ont déjà Le Monde à la maison grâce à leurs parents) permettait de gagner ne serait ce que 2 lecteurs. Si plusieurs milliers de classes sont visitées chaque année le chiffre n’est plus négligeable et je persiste à penser que ces lecteurs là auraient des chances d’être plus fidèles que les autres. Bien sûr cela a un coût, mais les coups reçus par les journalistes en ont aussi (quel mauvais jeux de mots) et je suis persuadé que les retombées à long terme d’une action sociétale de ce genre seraient très positives sur l’image du journal et notre société en général. Le directeur de la rédaction souhaite qu’on s’occupe de ce qui bouge sur la planète, l’asie et les problèmes de la France. Bien sûr ! Mais je pense qu’un grand journal peut le faire de différentes manières et pas seulement en écrivant des articles. Tous les grands groupes responsables, poussés par leur démarche développement durable, sont en train de se lancer dans des démarches sociétales de ce type, pour aider les plus démunis, faire baisser les barrières. Qu’attend le groupe Le Monde pour faire la même chose ?
  • couverture : la façon dont les évènements en banlieu sont couverts peut aussi évoluer. Pour le moment la couverture concerne avant tout les « évènements ». C’est un terme bien pudique pour parler des conflits brûlants dont le nombre de citations est directement influencé par le degré de violence. Oui, Le Monde 2 a fait un bel article sur les médiateurs de banlieue et peu de journaux en ont fait autant. Mais il s’agissait encore de personnes qui étaient là pour apaiser les conflits, dont la raison d’être même était l’existence de ces conflits et de la violence. Lecteur régulier je suis incapable de citer un vrai article positif sur des sujets banlieue. Le moins négatif restant peut être celui qui citait les jeunes polytechniciens qui passent du temps à remettre gracieusement à niveau les élèves en difficulté. Et pourtant les journalistes du Monde savent que la société est en demande sur ce point. La preuve, un article du 9 Novembre cite la « charte des médias en banlieue » destinée à « améliorer le traitement médiatique » dans ces lieux. La charte propose trois pistes : « Favoriser l’insertion des élèves des banlieues dans les médias, optimiser le travail journalistique et aider à ouvrir l’ensemble de la société aux banlieues ». Tiens donc . . . Nous parlions hier des suppléments, de l’augmentation des ventes qu’ils provoquent, et de l’absence de supplément en particulier le mercredi. Mais qu’attend Le Monde pour lancer un supplément le mercredi autour de « jeune et banlieue », en leur donnant vraiment la parole ? Je suis sûr qu’il y a des graines de journalistes intéressantes parmi les jeunes « défavorisés » et qu’il suffit de leur tendre la main pour les faire grandir.
  • posture : A mon sens la question de la posture des journalistes doit aussi être abordée. J’ai la chance de faire partie des gens plutôt favorisés dans notre société. Centralien, PDG d’une boîte innovante et Président d’une association d’ouverture il m’arrive même d’intéresser les journalistes qui viennent alors me voir pour écrire un papier. Et je dois reconnaître que j’ai à plusieurs reprises été interpellé par leur attitude lors des entretiens, attitude que je situerais quelque part entre arrogance et condescendance. Si, intégré comme je le suis, plutôt du coté des gens qui ont du pouvoir (et pas seulement d’achat…) je me sens gêné par cette attitude, comment réagissent les jeunes acculés, sans formation, sans boulot, sans confiance en l’avenir ?? Je ne suis pas certain que l’on puisse apprendre l’empathie, mais je reste persuadé que des actions pourraient être montées pour faire bouger ces postures gauches ou mal à droite (oui, je fais exprès de l’écrire comme ça….). Combien de journalistes ont suivi une formation à la gestion des conflits ? à l’écoute et à la conduite d’entretien ? Les collaborations évoquées ci dessus pourraient aussi faire bouger ces postures, de façon très naturelle.

Merci à Sandra HAMALIAN d’organiser ces échanges, même parfois un peu vifs. C’est en grande partie en écoutant les différentes interventions que j’en suis arrivé à structurer ces 3 axes. Je ne voyais pas les choses comme cela en m’asseyant hier soir dans l’amphi. Mais j’en suis maintenant maintenant convaincu : au delà de la diffussion d’informations de qualité, Le Monde a tout intérêt à s’engager dans une vraie démarche sociétale, dont les retombées seront de toute façon à long terme positives pour le chiffre d’affaires.