L’Observatoire Des Cadres recevait hier Philippe LORINO (professeur à l’ESSEC) et Michel SAILLY (ergonome chez RENAULT) pour évoquer le « détournement » du lean management. Pourquoi revenir sur une mode déjà présente dans les années 1980 ? Et surtout pourquoi ces mêmes outils seraient-ils maintenant utilisés de façon « détournés », en négligeant la complexité des processus et en oubliant la nécessaire liberté des opérateurs sur leur poste de travail ?

14101501

Michel SAILLY nous présente l’organisation du travail chez RENAULT avec ces nombreux sigles CUET, SPR, QRPC, JAT, QC, MPM… pas toujours faciles à comprendre pour les opérateurs. Beaucoup d’échanges autour du rôle du manageur de proximité, le CUET :
– le pouvoir qu’il détient sur son Unité Elementaire de Travail et ses 20 collaborateurs par rapport aux services méthode, conception,
– les différences de posture managériales entre la France (RENAULT) et le Japon (NISSAN)
Les choses continuent à bouger avec la mise en place de travailleur référent dans chaque unité élémentaire de travail pour redonner la parole au terrain. Une expérimentation en cours sur quelques sites, accompagnée par des universitaires, qui devrait probablement déboucher sur un accord de méthode au niveau du groupe.

 14101503

Philippe LORINO reprend l’historique des grandes idées qui ont structuré l’organisation du travail. Les idées de base du lean étaient déjà présentes chez Shewart (BELL LABS) en 1939, convaincu que l’on n’apprend qu’en faisant et que l’optimisation par le calcul n’est pas suffisante. Suivi de Deming qui invitait chaque opérateur à réfléchir sur ses propres actions : Plan Do Study Act plutôt que Plan Do Check Act. Ce qui revient aussi à faire la différence entre « doing the right things » et « doing things right ». On oublie trop souvent l’importance du slack organisationnel, de ne pas surcharger les systèmes de production au delà du seuil de 80% de taux moyen d’utilisation des capacités à partir duquel le moindre aléa peut provoquer un chaos généralisé.

Personnellement je pense que depuis quelques décennies deux tendances importantes, valables pour quasiment toutes les organisations, peuvent expliquer le fait que le déploiement de ces outils de lean se fasse maintenant de façon sensiblement différente par rapport aux années 1980 :

  • la mise en place des ERP, SIRH et des pratiques de reporting intensives

  • l’apparition des normes d’assurance qualité autour de l’ISO 9000

Les invités de l’ODC semblent en phase avec mes remarques puisque Philippe LORINO nous alerte sur « les chiffres qui trop souvent ne sont plus qu’une image substitutive d’une réalité complexe » et que Michel SAILLY nous avoue que RENAULT a parfois du mal à gérer la cohérence entre les trop nombreux audits, amenant certains responsables opérationnels à dénoncer un quasi « délitement du concret ».