Pour une fois un article parle de l’éducation nationale avec une dynamique positive (pas pour dire que les établissements amplifient la ségrégation, ni que les directeurs n’en peuvent plus, ni que la France recule encore en matière de remplissage de nos chères têtes blondes avec des compétences bien intégrées…). Non, il s’agit cette fois d’afficher que le corps enseignant se penche sérieusement sur l’utilisation des Nouvelles Technologies de l’Information afin de révolutionner l’enseignement, faire évoluer la pédagogie. La lecture de l’article du 4 octobre du Monde sur les ateliers organisés par SAPIENS dans la Tour Montparnasse n’apprend rien de bien révolutionnaire (à part l’escape game ?) mais c’est surtout la photo qui a attiré mon attention.
Commençons par un bon point (vous savez, un petit rectangle de carton avec une belle image dessus…) : il ne s’agit manifestement pas d’une photo extraite d’une banque de données. Mais par contre je reste sidéré par les postures physiques des participants et leur approche spontanée des outils informatiques. Jouons un peu au « marc Beaugé » des TIC en analysant cette scène. Apparemment nous avons affaire à une personne occupée à recopier sur un tableau blanc une phrase dictée par une autre personne en train de la lire sur son ordinateur portable, tenu dans une position pour le moins dangereuse, à la fois pour l’équipement lui même (risque de chute…) mais aussi les TMS de cette seconde personne (bonjour la sollicitation du poignet pour tenir le portable, même de type ultrabook hyper léger, dans cette position). Remarquons aussi les positions des 3 participants assis : torticolis quasi assuré pour pouvoir lire (mais écrit si petit…) la phrase manuscrite sur le tableau blanc! Rappelons qu’une partie des classes de cours, même en primaire et secondaire, sont maintenant équipées d’un vidéo projecteur et même de tableaux blancs interactifs. La question se pose donc ces enseignants sont-ils en train de se former dans de bonnes conditions à l’utilisation des technologies dans leur salle de cours ? Personnellement je sonde souvent mes ados sur l’usage réel des équipements installés dans leur lycée (vidéo projecteur + TBI dans chaque salle) : en dehors de la projection de powerpoint et d’un clic, parfois, pour changer de diapo ou activer un lien hypertexte, rien de bien original hélas. Ne faudrait-il pas d’abord commencéer par une formation amenant les professeurs à apprivoiser vraiment ces outils, les aborder de façon naturelle et efficace?
C’est un message que nous rappelons aussi lors de nos formations à la conduite de réunion assistées par informatique : la posture de l’animateur, la disposition de la salle, les modalités concrètes d’utilisation des outils font partie des facteurs clés pour l’efficacité d’une réunion. Les niveaux de pratiques sont fort variables d’une entreprise ou même d’un manager à l’autre. En tout cas, en ce qui concerne l’exercice concret de réflexion sur l’enseignement qui a donné lieu à cette photo, personnellement je ne suis pas sûr de donner une bonne note… et vous ? quelle note donneriez vous sur ce que laissent deviner ces postures ?
2 Commentaires
Olivier
« Apparemment nous avons affaire à une personne occupée à recopier sur un tableau blanc une phrase dictée par une autre personne en train de la lire sur son ordinateur portable […] La question se pose donc ces enseignants sont-ils en train de se former dans de bonnes conditions à l’utilisation des technologies dans leur salle de cours ? »
Votre interprétation de cette scène révèle surtout vos présupposés sur les enseignants, sur la manière dont ils travaillent ensemble (pourquoi, sur cette photo, devraient-ils forcément être en train de « se former » ?), et sur leur capacité (ou leur incapacité, devrais-je dire) à maîtriser les TIC. On pourrait tout aussi bien voir, sur cette photo, un brainstorming entre collègues, l’un d’entre eux étant chargé de noter les idées-clés sur un tableau blanc (utilisé comme alternative au « paperboard ») : voilà une situation que l’on trouve couramment dans des entreprises high-tech, et que l’on retrouve aussi chez les enseignants (qui travaillent aussi en équipe, contrairement à ce que l’on pourrait croire).
« la posture de l’animateur, la disposition de la salle, les modalités concrètes d’utilisation des outils font partie des facteurs clés pour l’efficacité d’une réunion. »
Un cours donné à des enfants ou des adolescents, ce n’est pas une réunion, et ça ne s’anime pas comme une réunion. Pour avoir donné l’un et l’autre (cours à des ados, formations à des adultes, réunions de travail en entreprise, séminaires et conférences en entreprise), je peux vous le certifier. Et je peux aussi vous assurer que les outils technologiques les plus utiles pour une réunion s’avèrent très inadaptés à un cours en salle de classe. Certes, ces outils sont aisément utilisables pour donner des cours magistraux ou des conférences en amphi. Mais de cours magistral ou de conférence, vous n’en trouverez pour ainsi dire jamais dans les écoles avant le bac. Du point de vue des apprentissages, à ces âges-là, c’est très inefficace. Ne serait-ce pas plutôt là qu’il faut trouver la raison pour laquelle les enseignants, dans leurs cours, font aussi peu appel aux jolis TIC que l’on voudrait tant qu’ils utilisent ?
« Ne faudrait-il pas d’abord commencé par une formation amenant les professeurs à apprivoiser vraiment ces outils, les aborder de façon naturelle et efficace? »
Pour aller à contrecourant de la mode, et aussi du message très optimiste et technophile de cet article du Monde, la question à se poser, c’est plutôt : Ne faudrait-il pas d’abord commencer (‘E-R’) par se poser la question de savoir si les TIC sont les outils les plus adaptés pour apprendre aux enfants et aux adolescents ?
Il se trouve qu’il y a des gens que l’on paie précisément pour étudier et répondre à ce genre de questions : ce sont les neuroscientifiques. Et l’état des connaissances de leur discipline, les neurosciences, montre assez clairement le contraire (cf. les différents articles sur le sujet publiés dans les revues scientifiques à comité de lecture Journal of Neuroscience, PLoS ONE, Cognition, Psychological Science… ou par exemple, le cours de psychologie cognitive expérimentale donné en 2015 au Collège de France par Stanislas Dehaene, visible en MOOC sur le site du Collège de France). Le rapport de PISA de septembre 2015 le confirme lui aussi clairement : « Les pays ayant consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. » Aucune amélioration notable. Ni en français, ni en maths, ni en sciences.
Autrement dit, investir des centaines de millions d’euros (au bas mot) dans des tablettes pour les élèves, dans des TNI (tableaux numériques interactifs) mal installés dans les salles de classe – et sans personnel qualifié pour leur maintenance matérielle et logicielle une fois qu’ils ont été fixés au mur : c’est du vécu – cela revient purement et simplement à jeter de l’argent par les fenêtres.
Alors, au lieu de bassiner les profs pour qu’ils adaptent leur pédagogie aux TIC « parce que les TIC, c’est forcément bien », ne vaudrait-il pas mieux se poser d’abord la question de savoir comment apprendre aux élèves le plus efficacement possible – en se fondant sur l’état des connaissances en neurosciences et sur ce qu’elles nous disent de la manière la plus efficace d’apprendre, plutôt que sur tel ou tel principe pédagogique, « parce que c’est comme ça qu’il faut faire » – et *ensuite*, et seulement ensuite, se poser la question des outils et supports les plus adaptés à ces apprentissages, et auxquels les enseignants doivent être formés ?
pablo
Bonjour Olivier et merci d’avoir pris le temps de répondre aussi longuement à mon billet.
Je me suis bien sûr empressé de corriger ma faute de conjugaison mais en la laissant visible pour que d’autres lecteurs comprennent.
Sur votre première remarque je ne peux guère être d’accord avec vous. L’article explique bien qu’ils étaient en train de réfléchir à la meilleure façon d’utiliser les tics et cela aurait été tout de même bien plus élégant s’ils avaient intégré ces tics dans leur réflexion. Les entreprises high tech ont le même souci. par exemple microsoft fait tout pour vendre de superbes et gigantesques écrans tactiles mais quand on regarde les photos de leur nouveau siège social, rien n’est prévu pour permettre leur utilisation (j’ai fait d’ailleurs un autre billet sur ce thème en parlant du nouveau siège de microsoft…).
Je suis bien d’accord aussi pour dire qu’un cours magistral n’est pas une réunion. Mais dans les deux cas les postures (au double sens de physique mais aussi mentale du terme puisque vous parlez de neuroscience) sont importantes et pourtant toujours sous estimées.
Et puis comment ne pas être d’accord avec vous sur le fait que les investissements dans les TBI sont de l’argent jeté par la fenêtre tant que ceux ci ne sont pas correctement utilisés !