Vous le savez sans doute : vous avez le choix entre deux solutions pour donner votre avis sur l’avenir de notre pays : le Grand Débat, mis en place par notre Président et le Vrai Débat, lancé quelques jours plus tard, par des responsables du mouvement des Gilets Jaunes. Il se trouve que ces deux solutions sont basées sur la même architecture technique, développée par Cap Collectif. Cela m’a semblé intéressant de prendre le temps de comparer les choix de mise en œuvre avec en tête quelques questions simples : laquelle a la meilleure « expérience utilisateur » ? L’une d’entre elles est-elle plus démocratique ou 2.0 que l’autre ?
L’analyse comparative proposée ici porte uniquement sur les choix techniques réalisés par les deux sites pour structurer leur interface, aucunement sur les idées émises sur chaque plateforme. Elle n’a rien à voir avec les opinions politiques de l’auteur de ce billet !
Bilan des deux sites
Commençons par comparer les pages d’accueil. Les menus du haut sont assez proches. Le mécanisme d’inscription est exactement le même. Mais une différence importante apparaît dès cette première page. Alors que la page d’accueil du Grand Débat est plutôt statique, mettant en avant la photo du Président, celle du Vrai Débat est plus dynamique, affichant le nombre de participations.sur le chemin permettant de participer en apportant ses propres contributions.
Second point d’observation, comme sont présentées les rubriques structurant les débats? Si, sur les 2 solutions les grandes rubriques semblent figées, le Vrai Débat renforce son aspect dynamique avec un affichage du nombre de participants, de contributions et de votes sur chacune des rubriques. Le Grand Débat se contente par contre de rappeler le titre des 4 grandes rubriques.
Si l’on décide d’aller voir le détail des contributions sur une des rubriques, le Grand Débat affiche enfin un nombre, mais le Vrai Débat reprend l’avantage en affichant sous forme de graphes colorés le résultats des votes !
Voyons maintenant comme cela se passe pour participer et saisir une proposition. Le choix du Grand Débat est original : tout en laissant le choix complet du titre, les questions ouvertes suivantes dépendent de la rubrique et sont orientées pour inciter le participant à s’exprimer en fonction des souhaits des organisateurs. On vous suggère même de répondre à des questions fermées sur le thème de la rubrique choisie. Un « donnant donnant » pas absurde qui devrait faciliter le traitement des réponses, en tout cas celles aux questions fermées! En même temps, si le citoyen vient pour s’exprimer il peut avoir l’impression que l’on insiste vraiment pour avoir son avis sur des questions auxquelles il n’a pas forcément envie de répondre. Le Vrai Débat propose de son côté un formulaire assez classique avec 3 champs : titre, description et bénéfices. Notons aussi qu’il offre la possibilité de mettre en forme sa réponse à l’aide d’un éditeur de texte, incluant l’insertion de lien hypertexte. Pourquoi avoir fait l’impasse sur ces options côté Grand Débat ? Peut-être la crainte de voir beaucoup de liens externes se mettre en place ?
Pour terminer, je me suis aussi demandé comment sont traités les autres aspects, hors collecte des contributions individuelles. L’on retrouve dans les deux logiques la volonté de parler de réunions locales (Grand Débat) ou ateliers locaux (Vrai Débat). Côté quantité, le Grand Débat a une longueur d’avance avec +5.000 réunions prévues. A tel point d’ailleurs que le moteur de recherche avec un filtre à 3 facettes seulement est un peu dépassé par le nombre. Une carte (@openstreetmap, bien d’avoir choisi du libre!) permet de géo localiser les réunions et s’apercevoir au passage que certaines sont organisées à l’étranger. Une autre page du site propose déjà de nombreux compte rendu de ces réunions. Deux regrets : la structure des comptes rendus est fort variable et surtout il n’y a pas de logique entre la liste des réunions et celle des comptes rendus disponibles. N’aurait-il pas été plus logique de permettre l’accès au compte rendu à partir de la page qui annonçait la réunion correspondante ? Un rapide test sur un des comptes rendus : impossible retrouver la réunion, même dans la liste des réunions terminées. Curieux…
La liste des ateliers locaux est beaucoup plus limitée (2 seulement lors de cette analyse) sur le site du Vrai Débat. Donc l’absence de moteur de recherche ou géolocalisation ne se fait pas sentir. Pas de planning des différents « actes » de manifestation non plus, mais l’on sait que d’autres réseaux sociaux plus privés qu’un site web sont utilisés pour cela. Le Vrai Débat se rattrape un peu en proposant un flux d’actualités qui ressemble un peu à une revue de presse mais doit inciter à revenir sur le site, même si l’on n’a plus de contribution à émettre.
La synthèse de cette comparaison est sans appel :
si le Grand Débat a un net avantage en terme de quantité, le Vrai Débat marque plusieurs points sur la partie interactivité, contenu dynamique des pages et dégagement de consensus en temps réel.
On peut remettre en question le choix d’afficher les votes en temps réel sur chaque contribution. Certains dirigeants préfèrent garder la maîtrise des résultats qui vont être diffusés ou non, voire se réserver les résultats de sondages privés commandés à des instituts privés sur des budgets souvent publics. Il me semble toutefois que cette transparence va dans le sens d’une réelle démocratie et permet d’isoler rapidement les idées les plus farfelues.
Je note au passage que ce match entre Grand et Vrai débats, et la conclusion de l’analyse qui vient d’en être faite, renforcent l’intérêt du nouveau diagnostic management en accès libre sur lediag.net. Car ce diagnostic interactif est le premier à faire le pari que outils informatiques et management sont indissociables, vous proposant de les évaluer ensemble. Or nous venons de voir que la même plateforme fournie aux deux débats, managée différemment, pouvait déboucher sur des modes d’utilisation et des choix de partage d’informations assez éloignés !
Des progrès possibles pour les 2 sites
L’analyse ne serait pas complète sans signaler des points sur lesquels les deux sites auraient pu faire mieux afin de renforcer encore la production d’intelligence collective. Peut être des pistes pour les futures évolutions de la plate forme proposée par Cap Collectif ?
Tout d’abord, je remarque que les deux sites proposent des traitements totalement séparés pour les contributions individuelles enregistrées en ligne d’une part et les réunions ou ateliers locaux d’autre part. Je ne peux que le regretter car des technologies existent pour travailler autour d’un même sujet à la fois lors de réunions présentielles puis en asynchrone à distance. Il est vrai qu’elles demandent à changer les modalités d’animation des réunions et qu’il était sans doute délicat ici de former rapidement un grand nombre d’animateurs. C’est toutefois possible, je pense par exemple aux méthodologies mises en place par La Fondation pour le Progrès de l’Homme pour l’Assemblée Mondiale des Citoyens, à Lille, en 2001 (le terme startup n’existait pas encore, mais les innovations étaient déjà là !!).
Autre point critique : les grandes rubriques sont figées sur les deux débats et il est difficile de s’y retrouver dans les milliers de différentes contributions. Vérifier avant d’émettre sa propre contribution qu’il n’y a pas déjà quelque chose d’écrit par quelqu’un d’autre autour de la même idée est une tâche pratiquement inhumaine. Les deux organisations vont donc se retrouver avec un grand nombre de contributions isolées à classer, regrouper, rassembler. Des fonctionnalités permettant de regrouper les contributions au fil de l’eau, sans doute avec un niveau de logique intermédiaire entre « rubriques » et « contributions », auraient été les bienvenues. Il est question apparemment d’utiliser l’IA pour faire la synthèse des contributions après la fin des débats. Cette technologie aurait aussi pu être utilisée pour guider chaque participant au moment où il enregistre ses contributions, l’inciter à compléter les plus proches plutôt qu’à en émettre une nouvelle, identifier en temps réel des regroupements de sujet. Mais c’était sans doute là un autre mode du partage de l’information et donc du pouvoir !
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