Le procès fleuve de France Telecom qui se déroule en ce moment cherche à établir le degré de responsabilités des dirigeants de l’époque, Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, dans la vague de suicides qui ont eu lieu à partir de 2009.
Difficile de deviner quel sera le verdict. Faire passer un groupe de 120.000 personnes de l’analogique au digital était-il possible sans casse humaine ? Les prises de parole rapportées dans différents articles montrent qu’ils pensaient bien faire, ne pas avoir d’autre choix pour assurer la survie du groupe. Ce procès n’est pas sans rappeler le dilemme des dirigeants locaux de Lafarge en Syrie. Je me suis plusieurs fois demandé ce que j’aurais fait si j’avais été directeur de cette cimenterie. Accepter de payer des groupes djihadistes pour protéger mes salariés ? Ou pas ? Bertrand Collomb, ancien PDG de Lafarge et récemment décédé, rappelait d’ailleurs en parlant du choix de ses collaborateurs la règle de Saint Benoit : «dans les cas les plus difficiles, les moines feront ce qu’ils pourront »
Ce qui est surprenant dans le procès de France Telecom c’est de voir pour la première fois des questionnaires quasiment « appelés à la barre ». Deux séries de questionnaires sont en effet évoqués pendant ce procès : ceux utilisés avant 2009 et le fameux questionnaire Technologia émis pendant au plus forts de la crise.
Avant 2009, pendant plusieurs années, une mission d’écoute à été confiée à un cabinet extérieur. Des taux de réponses déjà importants : 35.000 participants sur 80.000 agents et des avis assez positifs sur l’entreprise, même si cette tendance est à la baisse entre 2007 et 2009. Evidemment les avocats de la partie civile montent au créneau pour signaler que ces questionnaires étaient destinés à ceux qui croyaient au changement, qu’il était quasiment impossible d’y faire part de sa colère. D’ailleurs, le taux de réponse, inférieur à 50%, était il représentatif ?
En 2009, au plus fort de la crise, le questionnaire Technologia offre un regard totalement différent : la fierté d’appartenance chute à 39%, avec 80.000 réponses pour les 120.000 salariés du groupe. Peu de questions des avocats sur ce questionnaire. Personnellement je me suis toujours demandé si ce questionnaire n’avais pas eu un effet pervers. Sa conception, plutôt bâclée dans l’urgence, avait débouché sur un questionnaire de plus de 150 questions ! Il est probable que bien des répondants ont vu leur stress bondir en découvrant la tâche qui les attendait pour répondre à ce questionnaire interminable. Cela peut paraître incongru de porter ici cette remarque mais je ne peux pas m’empêcher de penser que cette maladresse a participé à amplifier le problème. Une rapide règle de trois amène à évaluer à 5.000 jours de travail le gâchis de temps engendré par l’embonpoint du questionnaire (100 questions en trop, soit environ 30 minutes perdues pour 80.000 personnes donc 40.000 heures ou encore l’équivalent de 5.000 journées homme!)
Si vous connaissez d’autres exemples de résultats de questionnaires utilisés dans des procès, je serai heureux que vous puissiez les partager dans le champ commentaire de ce billet. Verra-t-on un jour la responsabilité des cabinets mettant en œuvre de tels questionnaires engagée dans des procès ? Si les questionnaires antérieurs à 2009, trop « orientés », ont faussé la perception des dirigeants de France Telecom, qui est responsable ?
Chez FORMITEL, nous proposons depuis plus de 30 ans des questionnaires destinés à piloter les projets de changement et je me sens évidemment concerné par ce sujet. Pour éviter de tomber dans ces pièges nous sommes particulièrement attentifs sur deux points : la conception et l’écoute des signaux faibles.
Dans la phase de conception, la formalisation des objectifs est un des points clés. Nous préconisons de les valider en groupe, avec des représentants de l’ensemble des parties prenantes concernées. Ceci évite de dériver vers un questionnaire « parapluie » qui ne servirait qu’à couvrir une partie des dirigeants en cas de problème. Nous restons aussi attentifs à la taille du questionnaire : au delà de 50 questions, ce n’est plus l’opinion des salariés que l’on mesure, mais leur capacité d’endurance !
Pour le recueil des opinions nous avons développé une botte secrète qui permet de détecter les signaux faibles : les questions ouvrables. Le principe en est simple : les répondants peuvent émettre un commentaire sur chaque question s’ils le souhaitent, y compris sur les questions fermées. Ceci permet de capter l’équivalent des gribouillis rageurs dans la marge des questions fermées qui étaient toujours possibles sur des supports papier. L’analyse des verbatims est aussi beaucoup plus rapide puisqu’ils ne sont plus regroupés dans une ou deux questions ouvertes trop globales mais systématiquement associés au sujet de la question fermée sur laquelle ils ont été émis. L’exemple ci-dessous est issu du site lediag.net sur lequel vous pouvez tester librement un diagnostic management et digital
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Les questionnaires au tribunal - LeDIAG
[…] missions d’écoute avant 2009 et surtout le « grand » questionnaire technologia (voir le billet sur les techniques de conception) lorsque la vague des suicides a pris de l’ampleur. Mais ont-ils été utilisés […]