Impossible ces temps ci d’ouvrir un journal sans tomber sur un article parlant des SDF et du nouveau droit au logement opposable. En peu plus rares, mais néanmoins bien présents aussi, d’autres articles parlant de la progression continue du prix du mètre carré de logement. Et cependant très peu de traits d’union ou d’éclairages croisés entre ces 2 logiques qui concernent pourtant le même sujet !

Le numéro de METRO en date du 10 janvier est un bon exemple de cette séparation entre les 2 logiques. Première page grand titre « les SDF se rebiffent ». On y revient d’ailleurs en page 4. Seconde page, « les prix de l’immobilier continuent à grimper », sans aucune allusion au thème traité en page 1. Heureusement les articles ne sont pas signés par le même journaliste. Mais cela me semble un bon résumé des ruptures existantes aussi dans notre société entre ceux qui ont encore les moyens de s’enrichir et les autres.

Certains médias plus attentifs prennent le temps d’esquisser un lien entre ces 2 logiques. Mais dans tous les cas que j’ai eu sous les yeux, le mouvement des SDF était considéré comme passif, inerte, vis à vis du marché de l’immobilier. En général les liens entre les 2 sujets tournent autour de « comme le prix du mètre carré continuent à monter, cela paraît difficile de mettre efficacement en place un véritable droit au logement opposable ».

Pire peut être encore, le marché de l’immobilier est parfois considéré comme plus « vivant », plus actif que le mouvement des SDF lui-même. C’est par exemple l’approche du numéro de CHALLENGES du 11 janvier. Il cite des chiffres intéressants : pour combler le manque il faut passer de 440.000 à 600.000 logements construits par an. Donc la question vient immédiatement après : est-ce que ces 160.000 logements supplémentaires vont faire dégringoler le prix du mètre carré ? Et bien non puisque cette production s’adressera en priorité à une population qui n’avait pas les moyens de devenir propriétaire. Le seul danger serait que les maires se mettent à jouer le jeu en effectuant les réquisitions possibles de logements vaquants. Les investisseurs prendraient peur et les prix du neuf dégringoleraient alors conclut l’auteur de l’article. Personnellement, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de risques de ce côté là : quel maire souhaite voir baisser à la fois le prix du mètre carré sur sa commune et les revenus moyens par administrés électeurs ? Donc tout l’article décrit les acteurs du marché : les entreprises de construction, les maires, les investisseurs et les acheteurs du marché « libre ». Pas un mot sur les SDF eux-mêmes, les personnes directement concernées et leurs réactions possibles vis à vis de ces offres.

Curieusement une question n’est pas posée : quelle influence peut avoir la présence de campements de SDF sur le prix des mètres carrés actuels ? Après tout, les semaines les plus récentes ont montré que ces populations savaient se regrouper et agir, se déplacer pour devenir visibles y compris dans les centres des grandes villes. Bien sûr chacun peut se dire en visitant un appartement dans une perspective d’achat que ces tentes qui gênent le passage et gâchent la vue ne sont que provisoires, qu’elles auront disparu avant la validation des crédits et la signature de la promesse de vente. On connaît bien la sensibilité de la valeur des biens immobiliers à leur voisinage proche : les pétitions fleurissent au moindre projet d’usine d’incinération, de centre d’éducation pour personnes en difficulté ou de nouveau tronçon d’autoroute. Je ne peux pas m’empêcher d’être étonné que la présence actuelle des tentes n’ait pas plus d’influence sur les transactions en cours. Sans doute n’avons nous pas encore conscience qu’elles ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Les perspectives de droit opposable au logement explorent pourtant des voies long terme : 2, 5 voire 10 ans avant une mise en pratique effective. La question mérite donc à mon sens d’être posée : quelle influence à court terme de l’emplacement des tentes sur le prix du mètre carré. La plupart des analyses du marché immobilier portent sur les motivations possibles des différents acteurs en excluant celles des principaux concernés. Pourtant les associations présentes autour de la problématique ( jeudi-noir, les enfants de don quichotte par exemple) sont parties pour être très actives et « peser » sur le marché. Je suis prêt à prendre les paris : la densité des tentes et l’historique de leur présence dans certains quartiers ne tardera pas à influencer les côtes immobilières, au moins autant que le nombre d’enfants étrangers présents dans les écoles du même quartier.

Loin de moi l’idée de m’en réjouir (ou de m’en désoler). Le lecteur sera peut être aussi déçu que je n’en profite pas de ce constat pour proposer une piste de solution originale. Je voulais avant tout partager mon étonnement de voir la plupart des analyses oublier que chaque catégorie d’acteurs peut être active et bouger ses propres pions. Sans doute faudrait-il d’ailleurs distinguer parmi les motivations les aspirations de chaque SDF à titre individuel et celles des leaders d’associations. Comme dans tout problème complexe, une solution viable devrait passer par une analyse systémique et pour le moment les analyses me semblent à la fois partielles et partiales.

Les interactions complexes commencent d’ailleurs à pointer le bout du nez là où on ne les attendait guère : d’après l’INSEE, l’effondrement de la composante emploi de l’indice de confiance des ménages en décembre 2006 est en partie alimentée par la médiatisation des tentes de SDF. Ah ! Ca y est ? Ca réagit ? Mais pas tout à fait ! Lisez bien chaque mot de cette analyse INSEE : ce ne sont pas les tentes des SDF qui provoquent l’effondrement de l’indice, mais la médiatisation qui est en faite !! Diable. 1000 tentes avec 2 émissions télé auraient-elles moins de poids que 10 tentes reprises par toutes les chaînes ? Voilà une fois de plus nos pauvres gens ramenés au stade de cible passive, inerte, incapable d’agir sur leur environnement. Même les stats s’en moquent. On ne compte plus le nombre de SDF mais le nombre d’émission télé qui en parlent…